Archives des journaux télévisés de la Radio-télévision belge (RTBF) des 17, 18, 19 et 21 mai 1997, lors de la prise de Kinshasa par les troupes rebelles de l'AFDL de Laurent-Désiré Kabila, consécutive à la fuite et exil du Maréchal Mobutu.
© Archives RTBF / Sonuma
Chapitre 1
Une longue marche vers Kinshasa
Carte du Zaïre et de localités emblématiques prises par l'AFDL de L-D Kabila, au gré de l'avancée de ses troupes parties de l'Est fin 1996 pour conquérir Kinshasa et renverser Mobutu le 17 mai 1997, lors de la "première guerre du Congo".

Le 17 mai 1997, dans les rues de Kinshasa, le chaos ordinaire a fait place à un calme inhabituel. La bouillonnante capitale congolaise se réveille, à l’aube, dans l’incertitude.

La veille, Mobutu Sese Seko a fui le Zaïre, après 32 ans de règne autocratique. Le président déchu a pris place à bord d'un avion qui l'amènera en exil au Maroc. Une page de l’histoire du Congo se tourne. La peur qu’elle soit ensanglantée flotte dans l’air.

Mais la bataille n’aura pas lieu. La plupart des soldats des Forces armées zaïroises (FAZ) ont déposé les armes, certains sont partis, drapeau blanc en main. Les forces de l'Alliance Démocratique pour la Libération du Congo-Zaïre, l'AFDL, entrent triomphalement dans Kinshasa. La plupart sont de jeunes soldats aux yeux hagards, épuisés, vêtus de tenues trop larges et chaussés de bottes en caoutchouc. Partis de l’Est, les rebelles ont marché pendant huit mois et traversé plus de 2000 kilomètres.

Delu Nyalirwa était encore un adolescent lorsqu'il a rejoint le mouvement, mené par Laurent-Désiré Kabila et ses alliés rwandais et ougandais. Dans la commune rurale de Nsele, en périphérie de Kinshasa, devant une pagode de style chinois construite par Mobutu et depuis tombée en ruines, il se souvient de son entrée dans la capitale.


Quand on est arrivés, on nous a dit que tous les militaires avaient déjà fui. On nous a acclamés, comme des libérateurs. Et nous étions contents, parce que nous étions accueillis en héros.

Gedeon Balolage, Delu Nyalirwa, et d'autres anciens "kadogos" - les enfants-soldats de L-D Kabila - reviennent 25 ans plus tard à Nsele, aux portes de Kinshasa, d'où ils menèrent l'assaut final sur la capitale le 17 mai 1997, à l'issue de huit mois de guerre pour "libérer" le pays du régime de Mobutu.
© Caroline Thirion

Tout a commencé dans l'est du Zaïre, en 1996. Plus d'un million de réfugiés hutus rwandais y vivent dans des camps près de la frontière. Parmi eux, des femmes, des enfants, des vieillards, mais aussi d'anciens militaires et des miliciens qui ont pris part au génocide des Tutsis, au Rwanda voisin, deux ans auparavant.

L’homme fort de Kigali, Paul Kagame, leader victorieux de la rébellion du Front patriotique rwandais (FPR), veut endiguer cette menace et mettre fin aux attaques menées depuis les camps sur son territoire. Mais passer la frontière et envahir les camps, c'est envahir un pays souverain. Kagame a une stratégie : donner l'illusion que ses troupes ne font qu'appuyer une rébellion interne. L’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo-Zaïre (AFDL) voit le jour. À sa tête, un certain Laurent-Désiré Kabila, un opposant de longue date qui, depuis son maquis, rêve de renverser le président Mobutu.

Archives des journaux télévisés de la Radio-télévision belge (RTBF) : interview du "chef rebelle" Laurent-Désiré Kabila à Goma, diffusée le 4 février 1997 - portrait de L-D Kabila réalisé le 13 mars 1997, alors que ses troupes viennent de conquérir Kisangani cinq mois depuis le début de leur offensive - meeting de L-D Kabila le 19 avril 1997 au stade de Lubumbashi, quelques semaines avant que Kinshasa et le régime de Mobutu ne tombent.
© Archives RTBF / Sonuma

Après trois décennies sous le joug du maréchal, la population zaïroise a soif de changement.

« La population était fatiguée du régime de Mobutu et vers la fin, ce régime était devenu très policier », explique l'historien Isidore Ndaywel. « Le changement attendu était non seulement politique, mais aussi économique. C'est dans ce contexte que Laurent-Désiré Kabila va profiter de l'opportunité offerte par les évènements qui se sont déroulés au Rwanda, pour pouvoir commencer cette grande opération de l'AFDL qui va l'amener au pouvoir ».

Comme il était le plus âgé des leaders de la rébellion, Laurent-Désiré Kabila a reçu le titre respectable de “Mzee”, “l'ancien”, ou “le sage” en swahili. L'Alliance commença d'abord à recruter parmi les Banyamulenge, les Tutsis zaïrois, frustrés d'une exclusion subie depuis longtemps, et inquiets désormais de la présence de centaines de milliers de réfugiés hutus, dont certains, toujours armés, n'avaient pas abandonné l'idée de nettoyage ethnique. De jeunes Congolais issus d'autres communautés de l'est du pays furent aussi enrôlés pour rejoindre les camps d'entraînement, au Rwanda et en Ouganda. Certains s’y rendent volontairement, d’autres sont emmenés de force, ou par supercherie.

De jeunes Congolais issus de communautés de l'est du pays furent enrôlés - volontairement, par la force ou la supercherie - pour rejoindre les camps d'entraînement au Rwanda et en Ouganda, et former la nouvelle armée de l'AFDL qui mènera l'offensive sur Kinshasa.
© Archives Association des Anciens Kadogos Kabilistes

« J'avais treize ans. On nous a embarqués dans des camions militaires pour aller au centre de formation », raconte Ruffin Luliba, un ancien enfant soldat - un « kadogo », un “petit”, comme on les surnommait en swahili - qui pensait initialement se rendre à un match de football. « Là-bas, on a retrouvé des jeunes qui venaient de Goma, d'Uvira, qui descendaient des haut-plateaux, du Burundi, du Rwanda. Le soir même, on nous a coupé les cheveux, et on a commencé la formation aux tactiques militaires ».

Malgré des conditions de vie difficiles et une discipline de fer, l’enfant se prend au jeu de la guerre. « Un mois avant la fin de la formation, Mzee est venu nous voir avec toute l'équipe des membres de l'AFDL », se souvient-il. « Il nous a dit que nous allions atteindre l'objectif et renverser le pouvoir de Mobutu, que le pays nous appartient et que nous devons le changer.»


Alors, on a commencé à demander
que la formation se termine vite,
pour qu’on puisse commencer la bataille.

Laurent-Désiré Kabila se veut libérateur. Mais parmi ses alliés, certains sont animés d'un désir de revanche. Le 6 octobre 1996, moins de deux semaines après la formation officielle de l'AFDL, des rebelles banyamulenge attaquent la petite ville de Lemera, près des frontières burundaise et rwandaise. Dans l'hôpital, ils massacrent ceux qui n'ont pas pu fuir.

Des témoins se souviennent de l'attaque de l'hôpital de Lemera (Sud-Kivu) le 6 octobre 1996 par des rebelles banyamulenge. Dans l'hôpital - géré à l'époque par le futur prix Nobel de la paix Denis Mukwege - tous ceux qui n'ont pas pu fuir ont été massacrés. Cet épisode marque le début officiel de la "première guerre du Congo".
© Caroline Thirion

À l'époque, l’hôpital de Lemera est géré par le futur prix Nobel de la paix, Denis Mukwege.
« J'avais demandé à tous les employés de ne pas partir. Même s'il y avait un conflit, nous voulions continuer à soigner les malades. Ce jour-là, j'étais ici à Bukavu. Quelques jours avant, on avait vu des soldats congolais débarquer en ville. Ils venaient d'essuyer une défaite militaire dans les hauts-plateaux.

Et le samedi, l'hôpital a été attaqué. Au moins 30 de nos malades ont été tués. Une scène d'atrocité inouïe », dit-il. « Ceux qui ont cru que c'était une libération ont été d’une naïveté extrême. En fait, je crois que les Rwandais étaient aux opérations. A cette époque-là, je commençais à alerter, à dire que lorsqu'on tue des malades dans leurs lits, nous risquons d'aller vers des massacres à grande échelle. »

“ Kigali reconnaît que des soldats rwandais ont pénétré hier en territoire zaïrois. Aucune solution diplomatique n'est en vue pour l'instant et aucun espoir non plus pour les centaines de milliers de réfugiés jetés sur les routes par les combats de ces dernières semaines. ”

Archive du journal de la Radio-télévision belge (RTBF) du 30 octobre 1996.
© Archives RTBF / Sonuma

Fin octobre, l'AFDL prend Bukavu, la capitale du Sud-Kivu.

« Les gens ont quitté la ville, personne ne savait ce qui allait arriver », témoigne le père Franco Bordignon, missionnaire italien à Bukavu. « Les jours qui avaient précédé l'invasion, une chasse aux Tutsis s’est déroulée (à Bukavu et aux alentours). Il y a eu entre 40 et 50 morts ». Des civils, exécutés uniquement parce qu'ils étaient d'origine tutsie ou que leur apparence le laissait croire, par des soldats zaïrois et des jeunes en colère, lorsque la guerre a été déclenchée. « Suite à celà, beaucoup parmi la population craignaient une vengeance », dit-il.

Le père Franco Bordignon, missionnaire italien au Zaïre depuis 1972, se remémore la prise de Bukavu par l'AFDL et l'assassinat le 29 octobre 1996 de Mgr Munzihirwa. L’archevêque de Bukavu, seule autorité de la ville n'ayant pas fui devant l'avancée des rebelles, appelait la population abandonnée à elle-même, à ne pas déserter la ville.
© Caroline Thirion


Il y a eu énormément de morts.
Tous les véhicules qui bougeaient,
ils ont tiré dessus.

Maria Masson, une infirmière belge, qui vit et travaille à Bukavu depuis plus de 40 ans, était présente ce jour-là. « Ils ont cru que c'étaient les militaires qui fuyaient », se souvient-elle. « Il y a beaucoup de fosses communes, avec des militaires et des civils… Quand l'archevêque est mort et qu'on a entendu tous ces tirs, ce n'était plus la fête ».

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(1) L'infirmière belge Maria Masson était à Bukavu lorsque les rebelles ont pris la ville fin octobre 1996.
(2) La Place Mgr Munzihirwa à Bukavu, où l'archevêque a été exécuté le 29 octobre 1996 par des soldats de l’AFDL.
(3) Matthieu Bugandwa au collège Alfajiri de Bukavu, où Laurent-Desiré Kabila a prononcé l'un de ses premiers discours et encouragé le recrutement de jeunes et enfants au sein de l'AFDL fin octobre 1996.
(4) Mgr Munzihirwa est assassiné le 29 octobre 1996 à Bukavu par les rebelles, alors qu’il dénonçait l’invasion d’armées étrangères sur le territoire zaïrois.
© Caroline Thirion

Dans les villes de l'est du Zaïre dites « libérées », Laurent-Désiré Kabila tente de rassurer la population et d’obtenir son soutien. «Beaucoup de gens avaient fui dans les villages. On avait peur de voir des Rwandais en ville, avec des armes», raconte Matthieu Bugandwa, employé au collège Alfajiri de Bukavu. «Puis, Laurent-Désiré Kabila est passé par ici. Le jour où il est venu au collège, c'était pour choisir le nouveau gouverneur de la province. Il nous a dit : ‘si vous voulez qu'on soit ensemble, envoyez vos enfants dans l'armée, parce qu'on a besoin d’une armée forte. Et ce sont vos enfants qui vont former cette armée’». L'AFDL recrute alors en masse parmi la jeunesse zaïroise.

Ruffin Luliba, ancien "kadogo" (enfant-soldat recruté par l'AFDL), se souvient du meeting de Laurent-Désiré Kabila à la Place de la Poste à Bukavu, en octobre 1996, où un appel à la population a été lancé pour renforcer les rangs de l'Alliance.
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«C'est aussi le charisme et la manière de communiquer de Laurent-Désiré Kabila qui m’ont persuadé de répondre à cet appel», dit Carlos Mupili, un ancien enfant-soldat, aujourd'hui avocat à Kinshasa.


Mzee Kabila s'est présenté à nous
comme un papa,
au-delà d’être un chef d'État
ou un leader de la révolution.

Carlos Mupili, ancien "kadogo" (enfant-soldat) aujourd'hui avocat à Kinshasa, se souvient des paroles de Kabila père lorsqu'il a répondu à son appel pour rejoindre les rangs de l'AFDL et combattre le régime de Mobutu : "il nous a dit "vous êtes des lionceaux (...) mais vous serez des lions capables de rugir et dévorer l'envahisseur".
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« Il voulait le meilleur pour le peuple congolais, tout ce qu'il faisait c'était par amour de la patrie. Il voulait continuer l'œuvre de (Patrice) Lumumba, c'est-à-dire la justice sociale. Le Congo est très riche, mais la population est pauvre. Pourquoi ? Parce que les dirigeants politiques s'accaparent 80 % des richesses et la population est abandonnée. Mais lui, il est venu pour changer ces choses ».

Pendant ce temps, le président Mobutu est en France. Il se remet difficilement d'une opération de la prostate. Le 17 décembre 1996, il regagne précipitamment Kinshasa. Le Léopard espère encore résister à l'avance de l'AFDL.


Les ennemis de notre peuple
choisissent le moment où je suis terrassé
par la maladie pour me poignarder dans le dos.

Archives des journaux télévisés de la Radio-télévision belge (RTBF) du 18 décembre 1996 et du 12 avril 1997 : le Maréchal Mobutu, malade et affaibli face à l'avancée des troupes rebelles de l'AFDL, répond aux provocations de L-D Kabila.
© Archives RTBF / Sonuma

Mais Mobutu est de plus en plus isolé. Avec la fin de la guerre froide, le maréchal, à la tête du Zaïre depuis trois décennies, a perdu son utilité de rempart contre l’expansion communiste en Afrique. Les pays occidentaux, particulièrement les Etats-Unis, ne sont plus prêts à le soutenir. Les Forces armées zaïroises, mal payées, démotivées, offrent peu de résistance face à la progression rapide de l'AFDL.

« Vous savez ce que nos instructeurs nous ont mis dans la tête ? Ils nous disaient : ‘Vous êtes de vrais militaires, et vous allez renverser ces gens (les soldats zaïrois) parce qu’ils ne savent faire l’armée que sur un tableau’ », s’amuse Ruffin Luliba. « Et quand nous sommes arrivés sur le terrain, nous avons réalisé que c’était vrai. Parfois on en trouvait qui se déshabillaient, qui enlevaient leur tenue, déposaient les armes, et nous suppliaient de ne pas tuer nos frères congolais. Nous les laissions partir ».

Personne n'avait imaginé que les forces de l'Alliance allaient marcher aussi vite de victoire en victoire. Kisangani, la troisième ville du pays, située à la courbe du fleuve Congo, est stratégique sur le plan militaire et politique. En mars 1997, elle est défendue par les Forces armées zaïroises (FAZ), des miliciens rwandais hutus et des mercenaires yougoslaves, appelés en renfort par Mobutu. Mais ceux-ci ne suffiront pas à combler le manque de combativité des FAZ, qui se replient en pillant la ville, alors que la population prend la fuite.


Moi, j'étais prêt à mourir
pour une cause juste.

« Depuis Walikale, jusqu’à Kisangani, ça a été des moments très difficiles. Des morts et des morts… », raconte Benjamin Nyakalala, un ex-combattant de l'AFDL. « Nous étions avec les Rwandais, les Ougandais. De l’autre côté, il y avait les soldats de Mobutu et les Interahamwe qui avaient commis le génocide au Rwanda. Nous étions aussi bombardés par des (avions) Mirage ».

Archives du journal télévisé de la Radio-télévision belge (RTBF) du 24 décembre 1996 sur la situation dramatique des réfugiés dans les camps de Lubutu et Tingi-Tingi
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Avec la destruction des camps, à l'Est, plusieurs centaines de milliers d'entre eux ont été poussés à rentrer au Rwanda. Mais d'autres ont pris la route vers l'Ouest, dans une immense colonne, où se mêlaient des familles, des hommes en armes, et des tueurs, responsables du génocide. Tous avancent, puis se dispersent, la peur et la faim au ventre. Fuyant devant l’AFDL, entre 150 et 200.000 personnes, selon Médecins sans frontières se sont rassemblées à Tingi-Tingi, une large clairière à environ 250 kilomètres à l'est de Kisangani.

Parmi eux, des civils et des combattants, dont fait partie Placide Ndayambaje, qui a depuis été démobilisé et a rejoint Kigali. «L’AFDL ne pouvait pas distinguer les militaires des civils. Ils se rapprochaient de Tingi-Tingi. On commençait à nous dire, d'ici quelques jours, même Kisangani va tomber,» dit-il. «C'était la panique générale, le sauve-qui-peut. Mais partir comment ? Les blessés, ou ceux qui étaient gravement malades, ne pouvaient pas marcher. À un moment, on devait les laisser».

Des témoins racontent l'attaque par les forces de l'AFDL et l'armée rwandaise, le 1er mars 1997, du camp de Tingi-Tingi où se trouvaient 150 000 réfugiés hutus rwandais, parmi lesquels de nombreux malades et des enfants. L'un des massacres les plus importants commis dans l’est du Congo pendant cette guerre, selon l'ONU.
© Caroline Thirion

Beaucoup meurent de faim et de maladies. A Tingi-Tingi, ceux qui n'ont pas pu partir sont massacrés. En 2010, les Nations unies ont publié un rapport Mapping qui cartographie les crimes les plus graves commis en République Démocratique du Congo entre 1993 et 2003. Des dizaines auraient été perpétrées pendant cette marche de l'AFDL sur Kinshasa.

« Laurent-Désiré Kabila n'était peut-être pas sur place à tous les endroits où ces crimes ont été commis, peut-être le plus souvent par des militaires de l'Armée patriotique rwandaise. Mais il est difficile de penser qu'il n'était pas au courant de ces exactions qui étaient en train de se commettre », dit Luc Henkibrant, expert en droits de l'Homme qui a participé à l'enquête des Nations-Unies.


Durant cette période,
des actes prohibés commis
à l'encontre des populations civiles
par tous les groupes belligérants
pourraient être qualifiés
de crimes de guerre.

Le Professeur Alphonse Maindo, activiste des droits humains et professeur de sciences politiques à l’Université de Kisangani, a été élu bourgmestre de la commune de Kabondo à Kisangani, en mars 1997, lors d’un scrutin à mains levées organisé après la victoire de l’AFDL.

Il affirme avoir lui-même constaté des disparitions suspectes parmi les réfugiés rwandais hutus qui étaient parvenus jusqu’en ville. « Il y avait un groupe d’environ 200 personnes. Des femmes et des enfants, surtout. Et quelques hommes, très affaiblis. Le matin, quand je suis revenu, ils avaient tous disparu », raconte-t-il. « On m’a dit qu’une patrouille (de l’armée) rwandaise était passée par là et avait emmené ces gens. J’étais très énervé. Le lendemain, un colonel (de l’AFDL) est venu me voir dans mon bureau et m’a dit que si je voulais vivre longtemps, je devais oublier cette histoire ». Son enthousiasme face à Laurent-Désiré Kabila, alors que celui-ci est sur le point de devenir le nouveau maître du pays, s’étiole rapidement.

Le Prof. Alphonse Maindo évoque sa fierté en mars 1997 lorsque, tout juste élu bourgmestre de la commune de Kabondo à Kisangani après la victoire de l’AFDL, il prête serment devant le "libérateur" Laurent-Désiré Kabila. Avant de rapidement déchanter : "la libération n'était qu'une illusion...".
© Caroline Thirion

Le 12 mai 1997, les Forces zaïroises perdent la bataille de Kenge, une ville de 20.000 habitants, située à environ 200 kilomètres à l'est de Kinshasa, dernier verrou sur la route de la capitale. Le 16 mai, le président Mobutu se réfugie dans sa luxueuse résidence de Gbadolite, au nord du pays, à plus de 1000 kilomètres de Kinshasa. Les principaux généraux de son armée lui ont fait savoir que sa sécurité n'était plus garantie.

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(1) Un jeune soldat de l'AFDL fait le signe de la victoire alors qu'il progresse avec ses camarades vers Kinshasa, le 18 mai 1997. - (2) Des centaines de milliers de réfugiés rwandais quittent les camps, formant une colonne de 20 km le long de la route de Sake, à l'ouest de Goma, pour retourner dans leur pays.- (3) Un jeune garçon cache la vue d'un cadavre à son jeune frère, le 5 novembre 1996, suite aux combats entre les rebelles tutsis et les troupes zaïroises, à l'entrée de Bukavu. - (4) Le "chef des rebelles" Laurent-Désiré Kabila et le Président Mobutu se rencontrent lors d'une conférence de presse le 4 mai 1997 sur un navire au large de Pointe Noire (République du Congo), en présence du Président sud-africain Nelson Mandela. - (5) Des Zaïrois pro-Mobutu manifestent leur soutien au vieux président à l'aéroport de Kinshasa le 4 mai 1997. - (6) La population zaïroise célèbre l'arrivée le 21 mai 1997 du nouvel autoproclamé président Laurent-Désiré Kabila à Kinshasa, la capitale du pays qu'il vient de rebaptiser République démocratique du Congo. - (7) Les habitants de Kinshasa accueillent avec effusion les troupes de Laurent-Désiré Kabila qui entrent dans la ville, le 17 mai 1997. - (8) Un soldat de l'AFDL, entouré de pillards, frappe avec son arme une photo du président zaïrois déchu Mobutu Sese Seko, dans son ex-maison au camp militaire de Tshatshi, à Kinshasa, le 20 mai 1997. - (9) L'autoproclamé président Laurent-Désiré Kabila prête serment, le 29 mai 1997, au stade de Kinshasa.- (10) Un "kadogo", un enfant-soldat recruté au sein des troupes rebelles de l'AFDL menée par L-D Kabila, patrouille à Kinshasa, le 21 mai 1997, devant une foule curieuse et amicale.
© BELGA/ AFP


On arrive et on voit l'avion de Mobutu.
Je me souviens de mon ami qui avait
un lance-roquettes et qui cherchait des mortiers
pour voir comment on pouvait l’abattre.

« Mais quand le commandant des opérations (James Kabarebe, qui fut ensuite chef d’État-Major des forces armées congolaises, puis ministre de la Défense au Rwanda) a appris que nous étions à quelques mètres de l'aéroport, il a appelé sur son Motorola, et il a dit de ne pas frapper, de le laisser partir », raconte Ruffin Luliba, qui fut parmi les premiers kadogos à rentrer dans Kinshasa. « Moi personnellement, si j'étais en mesure d’utiliser des armes lourdes, je l’aurais fait ». Quelques heures plus tard, Mobutu quitte le Zaïre.

Depuis Lubumbashi, Laurent-Désiré Kabila se déclare Chef d'État , et le Zaïre devient la République Démocratique du Congo. Costume sombre et large sourire, il arrive le soir-même à Kinshasa, discrètement, et prête serment le 29 mai dans un stade à moitié vide.

L'euphorie est de courte durée. Le révolutionnaire se mue peu à peu en autocrate rigide, jusqu’à son assassinat, le 16 janvier 2001.

A l’issue de leur odyssée conquérante, le divorce entre Laurent Désiré-Kabila et ses parrains rwandais et ougandais se consomme rapidement. Les tensions ne cessent de croître entre le nouveau pouvoir qui veut prouver son indépendance et ses alliés étrangers, désireux de garder leur influence. Les frères d’armes, qui avaient pourtant vécu ensemble dans le maquis, vont devenir ennemis.

La « deuxième guerre du Congo » (1998-2003) démarre. Elle implique jusqu’à neuf pays africains (RDC, Ouganda, Rwanda, Burundi, Namibie, Angola, Zimbabwe, Tchad, Soudan) et provoque la mort de centaines de milliers de Congolais. La crise en République Démocratique du Congo (RDC) perdure jusqu’à aujourd’hui. Les multiples programmes de "stabilisation" menés par le gouvernement congolais et la communauté internationale ont tous échoué.

Les guerres nationales et régionales qui ont eu lieu à la fin des années 1990 et au début des années 2000 se sont transformées en une série de rébellions et de conflits plus localisés, alimentés principalement par une lutte pour l’accès à la terre, au pouvoir et aux ressources dans l'est du Congo, riche en minéraux.

La région continue d'être régulièrement endeuillée par les attaques de divers groupes armés, visant les Forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) et des civils. Selon les Nations unies, près de 5,5 millions de personnes sont déplacées dans le pays, la plupart vivant dans les provinces orientales. La prédation des ressources économiques et la corruption se poursuivent à tous les niveaux de l’Etat, alors que trois-quarts de la population congolaise vit sous le seuil de pauvreté.

25 ans plus tard, des espoirs suscités par cette longue marche pour « libérer » le pays, il ne reste qu’un mausolée d’inspiration nord-coréenne à la gloire de Laurent-Désiré Kabila, érigé à Kinshasa, dans le quartier huppé de la Gombe. Le Mzee y a été enterré, avec les changements qu’il avait promis.

mausolée Mobutu
Des Congolais rassemblés devant la statue du défunt président et chef rebelle Laurent-Désiré Kabila, sur la place du Mausolée qui lui est dédié, en face du Palais de la Nation à Kinshasa, lors du jour anniversaire de sa mort, le 16 janvier 2019.
© Caroline Thirion
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