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UN ETE EN ENFER

Comment la France s'est embrasée en juillet et août 2022
Texte et mise en page
Ambroise Carton avec Agences

Vagues de chaleur à répétition, sécheresse… l’été 2022 fut le total inverse de la version 2021. En Europe, cela s’est traduit par des départs de feu à répétition. La France n’y a pas échappé.

De nombreux records absolus de chaleur ont été pulvérisés, jusque dans le nord-ouest du pays qui ne fait plus figure de refuge anti-canicule protégé par l'océan. Le thermomètre a atteint 39,3°C en juillet à la pointe de la Bretagne, à Brest, et 40,4°C dans le port normand de Dieppe.

Combiné à l'absence de pluie, la chaleur a favorisé la sécheresse qui touche la quasi-totalité du pays et rendu la végétation particulièrement inflammable. Résultat, une saison noire de feux de forêt. Selon les données du Système européen d'information sur les feux de forêt (EFFIS), près de 62.000 hectares ont été ravagés depuis le début de l'année, soit le double de tout ce qui a été comptabilité sur l’année 2021. Il faut remonter à 2019 pour trouver le précédent record qui dépassait alors les 43.000 hectares brûlés.

Une barrière de plus de 5 km de long et 300 m de large a été tracée au milieu de la forêt entre la Gironde et les Landes pour stopper l'incendie de La Teste-de-Buch, le 12 juillet 2022 - Thibaud Moritz / AFP
Une barrière de plus de 5 km de long et 300 m de large a été tracée au milieu de la forêt entre la Gironde et les Landes pour stopper l'incendie de La Teste-de-Buch, le 12 juillet 2022 - Thibaud Moritz / AFP
Des avions dans le ciel d'Hostens, à proximité de Landiras (Gironde, sud-ouest de la France) où le feu a repris début août 2022 - Jerome Gilles / NurPhoto via Getty ImagesDes avions dans le ciel d'Hostens, à proximité de Landiras (Gironde, sud-ouest de la France) où le feu a repris début août 2022 - Jerome Gilles / NurPhoto via Getty Images

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Bien sûr, les feux de forêt ne sont pas à première vue anormaux dans nos écosystèmes. « Le feu de végétation est une perturbation naturelle millénaire à laquelle les écosystèmes, notamment forestiers, se sont progressivement adaptés. De sorte que le passage du feu est parfois nécessaire au maintien de certains écosystèmes », observent Thomas Curt et Eric Rigolot, deux scientifiques membres de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) en France, dans un article paru en mai 2020.

Malgré tout, « ces régimes d’incendies ont été profondément modifiés par l’Homme et par les changements climatiques au cours des dernières décennies. Les changements de régime de perturbations peuvent avoir des effets négatifs sur le maintien de certaines forêts sur le long terme. »

Par rapport à 2001, les feux de forêt ravagent désormais chaque année environ 3 millions d'hectares de plus, soit une superficie équivalente à celle de la Belgique, selon des données satellitaires compilées par le Global Forest Watch (GFW), le World Resources Institute (WRI) et l'université du Maryland.

70% des surfaces dévorées par les flammes en 20 ans concernent les forêts boréales, qui recouvrent une grande partie de la Russie, du Canada et de l'Alaska, et qui constituent parmi les plus grands puits de carbone de la planète.

En France, trois fois plus d'hectares ont brûlé que la moyenne annuelle des dix dernières années, et l'année est record dans l'Union européenne depuis le début des relevés en 2006.

Dans le même temps, les zones urbanisées s’étendent toujours plus. Dès lors, écrivent Thomas Curt et Eric Rigolot, « toutes ces évolutions conduisent depuis quelques décennies à une augmentation de la zone exposée aux incendies, à un allongement de la durée de la saison favorable aux feux, et à une augmentation des grands incendies ou des incendies au comportement extrême .

« Contrairement à ce que l'on pourrait penser, l’activité incendie a très nettement diminué dans durant les 40 dernières années en France, ajoute sur Twitter Julien Ruffault, lui aussi chercheur à l’INRAE. Ceci est dû aux progrès des politiques de prévention et suppression depuis le début des années 1990: attaque des feux naissants et campagnes de prévention. »

Mais un autre facteur prend de l’ampleur : le changement climatique. « Les stratégies de lutte montrent des limites lors des conditions météorologiques exceptionnelles comme durant la vague de chaleur de 2003, les sécheresses de 2016 et 2017 ou cet été 2022 », poursuit Julien Ruffault. Le scientifique ajoute que « les projections du risque météorologique d’incendies indiquent très clairement une augmentation des conditions favorables aux feux ».

Au coeur des flammes près de Belin-Béliet (sud-ouest de la France), le 11 août 2022 - Thibaud Moritz / AFP
Au coeur des flammes près de Belin-Beliet (sud-ouest de la France), le 11 août 2022 - Thibaud Moritz / AFP

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Dans ce contexte, la Première ministre Elisabeth Borne a reconnu que « l’été que nous venons de passer est un puissant rappel à l'ordre ». Emmanuel Macron, le président de la République, estime lui que la France est confrontée à une « grande bascule » sur ce plan.

Si les départs de feux sont favorisés par le conditions climatiques, ils sont aussi déclenchés par de manière volontaire ou non. C’est ce qui a poussé Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur à annoncer la création de « gendarmes verts » pour améliorer le travail d'enquête judiciaire", notamment dans les affaires d'incendies volontaires causés par des pyromanes.

«  L’objectif est que, dans chaque brigade de gendarmerie, il y ait des gendarmes formés aux atteintes à l'écologie. Ce sera une révolution", a notamment déclaré Gérald Darmanin dans un entretien au « Journal du Dimanche  » le 22 août dernier.

Selon le ministre de l’Intérieur « il y a eu entre 80 et 120 départs de feux par jour dans notre pays » et « nous avons procédé à ce jour à 26 interpellations de pyromanes présumés ». Avec ces nouveaux postes, l'objectif est de « renforcer massivement les moyens de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement (Oclaesp) », ajoute-t-il.

Cet office, créé en 2004 et dirigé par un général de gendarmerie, a notamment été co-saisi en juillet pour enquêter sur le grand feu de Landiras en Gironde. Ses enquêteurs ont aussi pour mission de lutter contre une multitude de trafics (médicaments, déchets, espèces protégées...), mais également contre le dopage dans le sport, les pollutions physiques, les scandales alimentaires ou le bioterrorisme.

Une femme sapeur-pompier sur les Monts d'Arrée (Bretagne, ouest de la France), le 19 juillet 2022 - Loic Venance / AFP
Une femme sapeur-pompier sur les Monts d'Arrée (Bretagne, ouest de la France), le 19 juillet 2022 - Loic Venance / AFP
Un pompier montre l'incendie qui fait rage sur les Monts d'Arrée, le 19 juillet 2022 - Loic Venance / AFPUn pompier montre l'incendie qui fait rage sur les Monts d'Arrée, le 19 juillet 2022 - Loic Venance / AFP

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Solidarité européenne

Face à cette situation "exceptionnelle", plusieurs grandes entreprises françaises - Carrefour, Orange, EDF et GRDF - ont pris des mesures pour faciliter la libération de leurs employés pompiers volontaires.

Pour lutter contre les incendies, ces hommes et ces femmes du feu ont aussi pu compter sur le soutien de leurs collègues venus de toute l’Union européenne. Dans le courant du mois d’août, du sud-ouest à la Bretagne, les pompiers français, ont été rejoints par les renforts en moyens humains et matériels de plusieurs pays.

Le 12 août, un mois après les deux incendies « hors normes » de Gironde à Landiras et la Teste-de-Buch, 1100 pompiers poursuivaient leur combat contre une reprise de feu près de Landiras, autour de Hostens, Saint-Magne et Belin-Béliet.

Ils ont commencé à être épaulés « dès l'aube », selon les autorités, de pompiers allemands puis roumains, têtes de pont d'un contingent de 361 soldats du feu également polonais ou autrichiens.

Sur la base aérienne de Mérignac, près de Bordeaux, ce sont également deux Canadair italiens et 2 Canadair grecs qui sont arrivés dans la matinée et pour certains, ont entamé immédiatement leur mission sur la forêt des Landes de Gascogne.

« Nous sommes contents parce qu'on sait qu'on vous aide, les amis », déclarait alors le commandant Anastasis Sariouglou, 36 ans, qui effectuait sa première mission en France. « Joindre nos forces est un plus. On le voit chaque année en Grèce, on le voit maintenant en France », se félicitait le pompier lors de son arrivée à Mérignac.

>Un Dash 8 Q400-MRE dans le ciel de Besseges (sud de la France), le 8 juillet 2022 - Sylvain Thomas / AFP
Un Dash 8 Q400-MRE dans le ciel de Besseges (sud de la France), le 8 juillet 2022 - Sylvain Thomas / AFP
Des camions de pompiers en feux sur les Monts d'Arrée (Bretagne, ouest de la France), le 19 juillet 2022 - Loic Venance / AFPDes camions de pompiers en feux sur les Monts d'Arrée (Bretagne, ouest de la France), le 19 juillet 2022 - Loic Venance / AFP

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2022, pire année depuis le début des relevés

La France a enregistré cet été les émissions de carbone issues de feux de forêt les plus élevées depuis le début des relevés en 2003, a annoncé le 12 août dernier le programme européen sur le changement climatique Copernicus.

Les données satellitaires du service de surveillance de l'atmosphère de Copernicus (CAMS) montraient alors que les émissions estimées en France provenant de feux de forêt pour les mois de juin, juillet et août étaient les plus élevées depuis 2003, alors que l'Europe connaît une saison dramatique pour les incendies, notamment en Espagne et au Portugal.

Depuis le début de l'année, plus d'un million de tonnes de carbone ont été libérées dans l'atmosphère par les incendies français, très largement au-dessus de la moyenne (un peu plus de 0,5 million de tonnes. A ce rythme, le record sur l'ensemble de l'année 2003 à près d'1,3 million de tonnes pourrait être battu et faire de l'année 2022 la pire depuis le début des relevés.

La haute saison des feux n'étant pas encore terminée, les émissions pour toute l'année 2022 restent pour le moment inférieures à celles observées en 2003, l'année record selon les données du Global Fire Assimilation System (GFAS), qui se base sur des observations par satellites des incendies actifs et de la puissance radiative du feu.

Sur Twitter, Copernicus signale - carte à l’appui - que le risque d’incendie reste bien présent dans le sud de l’Europe et en Afrique du Nord.